mardi 28 janvier 2014

Un dîner presque parfait

Un petit resto au bord de la Nationale. Un "routier". Petit parking presque vide, seul un camion cabossé ose y stationner. L'endroit ne paye pas de mine. Et pour cause. On est reçu par une serveuse au tablier douteux, aux cheveux gras, aux bas qui plissent et à la robe crasseuse qui boudine un corps aux bourrelets proéminents. Pour couronner le tout, elle vous parle en postillonnant en utilisant un vocable aussi sommaire qu'épouvantable.

"Ca s'rait pour bouffer ?"

Vous êtes un peu déstabilisé. Elle vous demande de vous suivre. Vous le faites un peu à contrecœur. Il fait tard, il fait faim, vous êtes éreinté par le voyage. Le plancher est sale et semble recouvert d'une matière visqueuse tant vos semelles ont l'air de coller sur le sol. Pratiquement toutes les places sont libres, à part une, au fond de la salle. Un type, visiblement un routier y mange à grand renfort de bruits divers ce qui semble être un potage dans un bol. Pas de chance, elle vous place à la table près de la sienne, à côté de ce que vous soupçonnez à l'odeur être la porte des toilettes. Elle vous tend un menu aussi graisseux que sa chevelure. Vous commencez à jeter un coup d'oeil à la carte, mais elle vous dit aussitôt : "Pas la peine de tortiller du cul, y'a plus que d'la soupe au lard". Vous acceptez donc, non sans avoir vérifié rapidement le tarif dudit plat : Excessif !

vous attendez. Dix minutes. Puis vingt. A la table voisine, les bruits de succion se font de plus énervants, entrecoupés par le grincement de la cuillère qu'on gratte sur la céramique du récipient.  Enfin, la serveuse revient, le bol de soupe dans les mains, ou plutôt, les mains dans le bol puisqu'elle a le pouce qui trempe allègrement dedans. C'en est trop. Vous vous énervez : "mais enfin, c'est dégoûtant !" et là, la femme vous explique : "bin quoi ! J'ai un putain de panaris, et l'toubib, il m'a dit de carrer mon doigt dans un liquide chaud pour que c'te bordel d'abcès finisse par percer!".

C'en est trop ! vous êtes au bout de votre patience et vous lui lancez : "mais votre pouce, vous vous le mettez dans l'cul !!!".


Elle ne quitte pas sa nonchalance, vous fixe d'un regard bovin et vous répond : "c'est là que j'le mets entre deux services de plats".